City roots | New York

par Laurent D'Alvise


Le soleil se lève paresseusement sur la ville. Les trottoirs étroits sont déjà saturés. Les passants grouillent comme des fourmis affairées. Les bousculades se succèdent et la circulation est tellement dense que le moindre faux pas est fatal. Se faire écraser devient chose courante dans cette ville. Les yeux rivés sur ses pieds, on prend garde de ne pas dépasser la ligne rouge qui sépare le trottoir de la route. Les voitures y circulent à allure libre sur deux fois trois bandes. Au total, vingt mètres séparent les deux trottoirs, le bout du monde pour qui veut traverser sans heurts. Autant dire, mission impossible. Il y a donc à cet effet des tunnels tous les cents mètres. Les piétons y sont divisés en deux bandes de circulations. Une ligne rouge fait office de séparation. Le flux est tellement dense qu’aucun d’eux n’aurait l’idée saugrenue de la traverser. Et encore moins de ralentir. Il n’est pas rare de dénombrer des traumatismes parfois graves parmi les piétons trop lents. Serrés les uns contre les autres, les usagers du large trottoir de deux mètres se gardent bien de ralentir le flux infernal du matin. Le déversage de main-d’œuvre atteint son pic entre six et huit heures, sans discontinuer. Une marée humaine qui investit les gratte-ciels de la ville. Puis, au-delà de l’heure d’affluence, soit neuf heures très précises, plus rien. Plus aucune âme qui vive ne s’aventure dans les rues désertes. Le processus est bien rôdé. Il faut dire qu’un escadron spécial a la mission ingrate de réprimander sévèrement la moindre incartade. Celui qui serait pris à errer dans les rues est passible d’une peine d’emprisonnement d’au minimum quarante huit heures assorti de l’enlèvement immédiat du passeport V à la seconde faute. Ce qui revient à se donner la mort puisque sans travail, on doit quitter la ville sur le champ. Pour aller où ? Nul ne le sait. Ceux qui l’ont tenté ne sont jamais revenus pour en parler.