Le système de santé congolais | Congo

par Laurent Stokart



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Le reportage que je vous propose a pour but de sensibiliser et de témoigner sur les lacunes du système de santé congolais. Pour mieux vous imprégner de la problématique, direction la capitale de la province du Kasaï occidental, Kananga, en plein cœur du Congo.

Pour rappel, La République Démocratique du Congo, pays lointain mais bien connu des belges car liés à ce pays par l’histoire triste ou glorieuse, c’est selon, de la colonisation passée. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les congolais nous appellent encore les « cousins ». Il faut comprendre ce terme dans le contexte du fonctionnement des familles africaines pour lesquelles un cousin soutient financièrement la cellule familiale éloignée à l’instar des familles nucléaires des pays occidentaux.

De plus, le Congo fut jadis une terre foulée par ma famille maternelle durant une dizaine d’années. Rien de plus excitant que de revenir avec des souvenirs plein la tête et de partager ces derniers pour le plus grand émoi de chacun autour d’un arabica récolté et moulu dans la contrée du village Muetshi (Kasaï Occidental).

Kananga, chef lieu de la province du Kasaï occidental, ville témoin d’une page de l’histoire congolaise car c’est l’endroit où la déclaration de l’indépendance du Congo fut signée en 1960 entre les différents chefs d’état. Kananga fut une ville construite par la colonie belge avec pour objectif d’expatrier tous les belges en cas de conflit majeur en Europe. D’ailleurs, la ville actuelle vit toujours sur les vestiges du passé colonial.

Comme dans toutes les villes de province, il y a moins d’interpellations dans la rue. Un ouf de soulagement par rapport à la capitale du Congo, Kinshasa la belle ou la poubelle. Tout dépend de comment on s’y est senti. De plus, ici en province, tout le monde s’appelle papa ou maman. Quoi de plus de facile pour approcher les gens et discuter aisément autour de la politique sanitaire appliquée dans la province tout en savourant une Primus bien fraîche.

Revenons au but de ma venue à Kananga : réaliser un reportage sur le système de santé congolais. Afin de m’imprégner de celui-ci, il m’est proposé de me diriger au nord-est de la province par le biais d’une ONG et, ce afin d’y évaluer une zone dénommée Muetshi. Village témoin, village touché, village victime, village otage de la dernière guerre entre les forces gouvernementales et le rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) entre 1998 et 2003. Village situé sur la ligne de front pendant cinq longues années. Par conséquent, Muetshi fut le théâtre d’importants mouvements de troupes, ainsi que de nombreux et violents affrontements connaissant alors massacres, viols, fuite de la population, campagnes agricoles ratées, pillages des récoltes par les militaires ainsi que de la déstructuration du système sanitaire dans la région.

Muetshi, nous y voilà après 24h de route via la Nationale 7 congolaise et 250 Km parcourus. Village étonnant où l’on retrouve derrière la brume du soir une église perdue ainsi qu’un hôpital vétuste toujours en activité grâce aux sœurs et, ce depuis l’indépendance. Village, où l’on peut déguster le café traditionnel du matin, village où l’on peut savourer le vin de palm du soir. Village, où l’on peut se sentir un tantinet soit peu loin de toute activité à grande échelle. Il n’y a que des choses simples ici. D’ailleurs, je m’y sens bien.

A travers mon excursion dans la zone de santé de Muesthi, je récolte divers témoignages tant par les autorités sanitaires de la zone que par les agents de santé. En effet, il m’est possible de réaliser de nombreuses visites faisant ainsi escale au sein des différentes structures sanitaires. Les faits sont là quant à l’inefficacité de la politique sanitaire dans les contrées reculées. Ainsi le reportage prend tout son sens à travers ses écrits et ses photos. Action !

La première analyse pertinente de ce reportage porte sur les constructions des infrastructures sanitaires effectuées par le gouvernement. Celles-ci sont mineures et ne permettent pas de garantir la durabilité. Il faut entendre par durable tout ce qui peut pérenniser la politique sanitaire congolaise et, ce à travers le temps pour une durée d’au moins 50 ans selon les dires de la Ministre de la santé provinciale. En effet, Il y a une réelle inadéquation dans la volonté du gouvernement à investir en dur dans leurs infrastructures. Selon le Plan National de Développement Sanitaire congolais (PNDS 2011-2015) : « seul 12% des structures de santé sur l’ensemble du territoire congolais sont construits en matériaux durables et 66% de l’ensemble des centres de santé nécessitent une réhabilitation d’urgence. ». Pour l’avoir vu, j’ai assisté à une incompréhension médicale voire un drame humain. Comment ne pas réagir lorsque vous rentrez dans un centre de santé étatique complètement en ruine dans lequel surgit de l’ombre une maman venant de mettre au monde son enfant au côté d’une personne distante d’un lit à peine atteinte d’une très grave maladie contagieuse ? Le médecin de l’ONG avec lequel j’étais parti en supervision ne pouvait contenir sa colère et ses larmes face à cette incompréhension. On découvre avec effroi que les infrastructures sanitaires ne sont pas adaptées pour accueillir différents types de patients. La précarité est omniprésente.

De plus, il faut savoir que le pourcentage du budget alloué à la santé reste largement inférieur aux engagements internationaux d’Abuja qui préconise une allocation dans le secteur de la santé à hauteur de 15% du budget de l’état. Certes, il y a des efforts qui sont déployés mais le chemin reste encore long pour atteindre cette durabilité souhaitée tant pour le pourcentage du budget alloué à la santé que pour la mise en exécution de celui-ci à travers tout le pays.

Deuxième analyse de ce reportage : l’absence de salaires. Au vu des restrictions budgétaires, le gouvernement congolais ne peut subvenir au paiement des salaires de ses agents de santé et ce de manière régulière. Par conséquent, il s’est créé, au fil de ces dernières années, un système de taxation informelle au niveau des centres de santé, hôpitaux de référence et aux bureaux de centres de zone de santé. Cette taxation informelle consiste à reverser un pourcentage des recettes (recette = recouvrement des coûts liés aux consultations etc.) des différentes structures de santé aux autorités provinciales. Ce système a pour conséquence de déstructurer ces mêmes structures au niveau des zones de santé qui, avec leurs recettes, leur permettent de réinvestir dans les intrants (médicaments, assimilés, etc.) et ce au bénéfice de la population.

La pertinence de ce problème réside dans l’affaiblissement de l’autonomie financière des différentes structures de santé mettant ainsi en danger l’utilisation de l’environnement sanitaire par la population. En effet, le manque d’intrants dus aux fuites des capitaux liés à ces taxations informelles incite la population à se diriger vers d’autres structures et pratiques médicales.

Toutefois, le gouvernement congolais a déclenché dans le courant de l’année 2009 l’opération « tolérance zéro » qui consiste à lutter contre la corruption par le biais d’audits et de contrôles dans les services publics. Néanmoins, les résultats de cette opération ne sont toujours pas communiqués.

La troisième analyse en découle: la concurrence latente des structures parallèles et infirmiers itinérants. Il existe des structures de santé parallèles à celles proposées par le gouvernement. En effet, c’est faisant suite aux carences de l’état en matière de soins de santé que le marché parallèle est né. Par conséquent, le système de santé se retrouve biaisé par le manque de moyens humains et financiers pour contrer ce type de commerce informel. Surtout qu’il s’agit d’un commerce où les vendeurs n’ont aucune formation en santé. Par conséquent, on assiste à des ventes de médicaments, de matériels et assimilés ne correspondant pas toujours aux attentes des patients et qui pourraient porter préjudice à la vie des congolais.

De plus, certains agents de santé jouent un double jeu. En effet, des agents étatiques sont infirmiers itinérants pour leur propre compte en pillant la réserve de médicaments de leur propre structure de santé où ils sont nommés. C’est tout un système de santé qui est gangréné par la corruption.

Cette analyse incite à plusieurs effets dont notamment au non-recouvrement des recettes propres à la structure de santé provoquant ainsi une dégradation de l’offre en termes de recettes donc à l’autonomie financière de la structure de santé. Par conséquent, elle ne renouvelle pas ses intrants. De même, il y a une incohérence dans les registres tenus par les infirmiers titulaires comme par exemple, le nombre de patients consultés au centre, les données épidémiologiques, le traitement donné pour éradiquer la pathologie…etc.

Photo 1 – supervision d’un centre de santé dans la zone de santé de Muesthi

La conséquence est la mise à mal de l’utilisation optimale de l’environnement sanitaire de la zone de santé de Muetshi par la stratégie de renforcement du système de santé congolais (SRSS). Et pourtant, les soins sont vraisemblablement prescrits de manière illicite mais, au bout du compte, la population de la zone de santé de Muetshi n’est-elle pas soignée de par ces activités informelles ? À méditer ! Et surtout j’ai envie de rajouter la citation d’Albert Kalonji, militant pour l’indépendance du Congo, 1960: « Appliquez l’article 15 ! Débrouillez-vous ! »

Photo 2 - maternité d’un centre de santé étatique – les 2 femmes et le nouveau-né

Photo 3 – le nouveau-né

Photo 4 – la danse des moustiquaires

Photo 5 – la salle d’opération

Photo 6 – le lit

Photo 7 – la tâche de sang

Photo 8 – l’opérée et les pleureuses

Autre analyse pertinente dans ce reportage: Le matériel médical de base manquant. Le problème réside dans le fait qu’il y a une fuite des instruments médicaux provoquant ainsi une pénurie volontaire. Cette pénurie volontaire est à mettre en rapport, comme on l’a vu précédemment, avec les malversations des salaires par le gouvernement. Pour la survie de certains agents, la vente ou l’échange du matériel médical de la structure sanitaire étatique constitue leurs seuls salaires. Juste une parenthèse, au retour du reportage, en visitant un centre, l’infirmier titulaire de ce dernier découpait sa viande avec le scalpel de l’infirmerie.

Analyse portant sur un manque de fidélisation du personnel formé. Dans ces conditions, il est difficile de garder les agents de santé formés dans des zones éloignées car, comme on l’a vu, le gouvernement ne verse pas les salaires. Et ensuite, il s’agit du marché de l’emploi où l’offre rencontre la demande. Pour cette raison, il est fort compréhensible d’aller voir ailleurs pour mieux gagner sa vie. On assiste à la déstructuration du système de santé par la fuite du personnel médical vers les milieux urbains où les salaires et commodités sont présents.

Photo 9 – agents de santé

Analyse mettant l’accent sur le faible taux de fréquentation des structures de santé et une faible implication de la population dans la gestion des problèmes de santé. La faible participation de la population dans la gestion des problèmes de santé témoigne de la défaillance de la Stratégie de Renforcement du Système de Santé congolais (SRSS) mis en place par le gouvernement. En effet, ce constat se traduit par un taux d’utilisation dans les structures de santé formelles relativement faibles. Ceci s’expliquant soit par des services qui ne sont disponibles ou/et qui sont de mauvaises qualité quand ils existent, soit parce qu’ils n’ont pas de moyens financiers pour y accéder. C’est pour ces raisons que l’on assiste à la prolifération des structures de santé parallèles qui proposent ainsi les mêmes services que les structures officielles et qui plus est sont de proximité. Toutefois, il n’y a pas encore eu d’enquête officielle sur l’impact réel des structures parallèles dans la province du Kasaï Occidental. Cependant, il n’est pas dit que ces structures soient néfastes pour la population, mais au contraire, elles ne rentrent tout simplement pas dans le cadre la Stratégie de Renforcement du Système de Santé congolais (SRSS) qui a pour raison d’être l’autonomisation du système de santé congolais.

Photo 10 – l’enfant de la hutte

A la lumière de ce reportage dans la zone de santé de Muesthi, une réflexion sur l’avenir du système de santé congolais devrait s’imposer car, à ce jour, il n’entraîne pas un réel bénéfice net pour la collectivité. Certes, la population est nécessiteuse et courageuse d’endurer cette précarité sanitaire mais la réflexion devrait surtout se porter sur l’appui au personnel de cette zone afin d’optimaliser la stratégie de renforcement du système de santé (SRSS) mis en place par le gouvernement congolais. Ce serait par le biais de cette approche que les autorités sanitaires pourraient atteindre l’amélioration de la santé de la population de la zone de santé de Muetshi par l’utilisation de son environnement sanitaire.

Toutefois, il faut prendre conscience que la zone de santé de Muetshi dans laquelle j’ai eu la chance de faire se reportage mettra du temps à se revitaliser tant que le gouvernement congolais n’investira pas dans le secteur de la santé et, ce, de manière conséquente et durable pour le bien-être de sa population. A défaut d’une telle politique, le rôle des ONG présentes dans la province se substituerait aux obligations de l’Etat congolais au lieu de l’appuyer dans une démarche de développement. Il me viendrait, alors, à l’esprit l’image d’un garrot qui stopperait momentanément l’hémorragie d’un gouvernement à l’agonie.

C’est l’heure du retour après 3 semaines de ce reportage en brousse. C’est avec une pointe au cœur que je quitte le Congo en me promettant de revenir pour en découvrir d’avantages sur nos cousins car le Congo est beau !

Sources:
• Ministère de la santé congolaise (juin 2006) : Stratégie de renforcement du système de santé
• Ministère de la santé congolaise (mars 2010) : Plan National de Développement Sanitaire 2011-2015
• http://www.minisanterdc.cd/